Suite aux différends opposant les membres du Conseil de la Révolution et Mohamed Néguib, ce dernier s’est démis, en février 1954, de son poste de Président du Conseil. Nasser l’a alors succédé, cumulant les postes de Président du Conseil de la Révolution et de Premier ministre. Ce qui suit est le communiqué concernant ce différend, diffusé le 25 février 1954, par le Conseil :
« Citoyens,
La Révolution menée par l’armée, le 23 juillet 1952, n’a jamais eu comme objectif de faire accéder une personne ou un groupe de personnes au pouvoir ou de leur attribuer un quelconque bénéfice ou privilège. Que Dieu témoigne qu’elle n’a eu lieu que pour ancrer les valeurs d’idéalisme dans ce pays après s’être amenuisées en raison de longues époques de corruption et de décadence.
Nombreux sont les obstacles qu’a rencontrés cette Révolution dès les tous premiers instants et qui ont été traités avec fermeté, sans tenir compte des intérêts des individus ou des groupes, consolidant ainsi ses principes fondamentaux et la propulsant vers l’atteinte de ses objectifs.
Vous reconnaissez sans doute la gravité des obstacles dressés devant la Nation, notamment avec une partie de son territoire sous l’occupation coloniale. Sévérité et gravité ont caractérisé la mission du Conseil de la Révolution à cette période, une responsabilité dont ses membres se sont dignement acquittés avec un seul but, celui de conduire, coûte que coûte, notre chère nation vers les rives sereines de la stabilité.
Ce qui a accentué la sévérité et la gravité de la charge qui leur incombait c’est qu’en préparant et en organisant clandestinement la révolution, les membres du Conseil, qui se caractérisent tous par leur jeune âge, avaient décidé de présenter au peuple un Leader en dehors d’eux. Leur choix s’est arrêté sur le général Mohamed Néguib qui jouissait, contrairement aux généraux de cette ère, d’une bonne réputation et était connu pour son incorruptibilité.
Deux mois avant la révolution, ils lui ont communiqué leur choix et il l’a accepté. Suite à un appel téléphonique de la part du ministre de la Guerre de l’époque, M. Mortada El-Maraghi, lui annonçant l’éclatement de la Révolution, il s’est dirigé au Quartier général et s’est réuni avec les membres du Conseil après leur prise du pouvoir.
La situation s’est compliquée depuis lors. Le général Mohamed Néguib n’a rejoint le Conseil qu’un mois après la Révolution, et plus précisément en date du 25 août 1952. Au cours de ce mois, le Conseil avait entrepris ses travaux et discussions en son absence.
Il a été émis ce jour-là un décret annonçant son enrôlement ainsi que sa nomination Président du Conseil après l’abdication du lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser, qui avait été réélu, avant la révolution, Président du Conseil pour un an prenant fin en octobre 1952.
Toutefois, refusant d’accepter cette situation anormale, le général Néguib a longtemps souffert ; et cela s’est répercuté sur nous tous malgré nos efforts à le présenter au monde entier en tant que le vrai Président et le vrai leader de cette Révolution et de son Conseil, tout en veillant à tous les aspects de ce leadership.
En moins de six mois, il a commencé à exiger, d’un temps à autre, qu’on lui octroie des pouvoirs supérieurs à ceux des membres du Conseil. Ce dernier a carrément refusé de transgresser son règlement établi des années avant le déroulement de la révolution et impliquant l’égalité de tous ses membres dans les pouvoirs, y compris le Président. En cas d’égalité de votes de deux groupes opposants au sein du Conseil, la voix du président est prépondérante.
Bien qu’il ait été nommé Président de la République, tout en maintenant la présidence du Conseil des ministres et du colloque commun, il a continué à exiger, de temps à autre, des autorités supérieures aux celles du Conseil. Nous avons insisté sur le refus total pour garantir la répartition du pouvoir sur la totalité des membres.
Finalement, il a présenté des demandes précises, dont :
Le droit de veto aux décisions prises par les membres du Conseil, sachant que le règlement prescrit l’adoption de toute décision prise par consensus.
Il a également demandé de disposer du pouvoir de nommer et démettre les ministres, ainsi que du pouvoir d’approuver la promotion, la démission et l’affectation des officiers. En gros, il a exigé une autorité absolue.
Nous avons essayé par tous les moyens au cours des 10 mois passés de le faire revenir sur ses demandes qui ramènent le pays vers un régime autoritaire, ce que nous n’accepterons jamais pour notre révolution. En vain, ses retraites se sont succédé en vue de nous obliger à accepter ses demandes. Il y a trois jours, il nous a mis devant le fait accompli quand il a déposé sa démission tout en sachant que tout schisme ayant lieu au sein du Conseil pourrait avoir des conséquences graves.
Dissolution de la confrérie des Frères Musulmans
Citoyens,
Les membres du Conseil ont enduré cette pression perpétuelle au moment où le pays était confronté à de sérieux problèmes hérités des ères révolues.
Tout cela s’est produit alors que le pays se démenait contre un usurpateur en Egypte et au Soudan et contre un ennemi redouté stationné aux frontières ; outre le combat économique acharné, la réforme de la gouvernance et l’augmentation de la production, etc. dans lesquels il s’était engagé et a réussi à s’affirmer dans plus d’un domaine.
Aujourd’hui, le Conseil a décidé à l’unanimité ce qui suit :
Premièrement : l’acceptation de la démission du général Mohamed Néguib de toutes les fonctions qu’il occupe.
Deuxièmement : le Conseil de la Révolution assumera, sous la présidence du lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser, toutes ses responsabilités actuelles jusqu’à l’atteinte de l’objectif majeur de la Révolution, à savoir l’évacuation de la patrie du colonisateur.
Autorisation de la création des partis politiques
Troisièmement : La nomination du lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser Premier ministre.
Cela revient à dire que cette révolution se poursuivra, fidèle à ses idéaux, malgré les difficultés et les entraves qu’elle confrontera. Que Dieu nous aide. »
Les aspects de ce conflit ont été bientôt gérés et le Conseil a accepté le retour de Mohamed Néguib à la présidence de la République dans un communiqué prononcé le 27 février 1954.
Ont eu lieu ensuite les intrigues conduites par la confrérie des Frères Musulmans, dissoute, le 14 janvier 1954, par le Conseil de la Révolution (Décret de la dissolution des Frères Musulmans). Certains acteurs, appartenant à l’ancien régime, se sont également impliqués dans ces événements.
Le conflit au sein du Conseil de la Révolution s’est largement manifesté à cette période par les décisions qu’il a émises et qui impliquaient l’abandon de la révolution. Premièrement, la période transitoire de trois ans prévue a été annulée ; il avait été convenu, le 5 mars 1954, de prendre les mesures nécessaires pour l’élection immédiate d’une Assemblée constituante au scrutin général direct, sous réserve qu’elle se réunisse en juillet 1954 pour discuter du projet de constitution et l’approuver. Elle exercera l’autorité du Parlement jusqu’à la formation d’un nouveau en conformité avec les dispositions de la nouvelle constitution. En même temps, il a été décidé la levée des lois martiales et l’imposition de la censure sur la presse et la publication.
Deuxièmement, le Conseil de la Révolution a décidé de nommer Mohamed Néguib président du Conseil et Premier ministre après l’abdication de Nasser qui a récupéré le poste de vice-président du Conseil.
Report de la mise en œuvre des résolutions prises par le Conseil le 25 mars 1954
Finalement, le Conseil a permis, le 25 mars 1954, la création des partis et la dissolution du Conseil de la Révolution le 24 juillet 1954, le jour même de l’élection de l’Assemblée constituante. (Décret permettant la création des partis).
Bien que le Conseil de la Révolution soit revenu sur ces décisions, le 29 mars 1954 (Décret du Conseil différant la mise en œuvre des résolutions du 25 mars 1954), le conflit qui a eu lieu au sein du Conseil a provoqué un schisme déchirant ses membres : Mohamed Néguib soutenu par Khaled Mohieddine, d’une part, et Gamal Abdel Nasser par les autres membres, d’autre part.
Ce conflit se répercutant sur l’armée, les hommes politiques, notamment les Frères Musulmans et les partisans des anciens partis toujours en contact avec Néguib et le soutenant, ont essayé d’en tirer profit.
Le 17 avril 1954, Nasser a été nommé Premier ministre et le rôle de Mohamed Néguib s’est limité à la présidence de la République, jusqu’à l’attentat d’assassinat manqué par les Frères Musulmans contre Gamal Abdel Nasser lors de la prononciation de son discours à Manshia, le 26 octobre 1954. Les investigations ont prouvé que les Frères Musulmans étaient en contact avec Mohamed Néguib qui avait projeté de les soutenir s’ils arrivaient à renverser le régime. C’est alors que le Conseil de la Révolution a décidé, le 14 novembre 1954, de démettre Mohamed Néguib de toutes ses fonctions, le poste de Président de la République est resté vacant et le Conseil de la Révolution a continué à assurer toutes ses responsabilités sous la direction de Gamal Abdel Nasser.
Démission du général Mohamed Néguib de toutes ses fonctions
Gamal Abdel Nasser a été élu, le 24 juin 1956, Président de la République par plébiscite, conformément à la Constitution du 16 janvier 1956 - première Constitution de la Révolution - ; puis Président de la République Arabe Unie, le 22 février 1958, après la déclaration de l’Union égypto-syrienne et jusqu’à sa sécession, le 28 septembre 1961, suite à un coup d’Etat militaire.
Nasser est resté au pouvoir jusqu’à sa mort le 28 septembre 1970.